« Continuer à traduire la Bible ? »
Edito - Juillet 2024
Cette année plus qu’une autre, le printemps devait être gracieux. On s’attendait à le voir éclore par petites touches, à en découvrir les élans colorés à l’ouverture d’une fenêtre ou au gré d’une promenade. Quelques doux poèmes auraient accompagné le surgissement de sa sève. Un peu innocents peut-être, mais cela leur aurait été pardonné, en vertu de la tonalité donnée à ce Printemps 2024 : la grâce ! L’heure devait être à la trêve. Comme l’écrivait Pablo Neruda : « la poésie est toujours un acte de paix. Le poète naît de la paix comme le pain naît de la farine ».
Loin d’être innocents, ces mots sont nés dans les combats, y compris ceux de la clandestinité. De même, il en fut autrement qu’espéré pour ce printemps. Le Printemps des poètes est venu dans ce qu’il est convenu d’appeler une polémique, ouverte par tribune et médias interposés à propos de la désignation de son parrain. Voilà la poésie – elle aussi ! – atteinte par une soudaine fièvre politique, prise dans l’étau des clivages partisans, dans les pinces binaires de la conservation et du progrès. On s’y jeta, on s’en inquiéta ou on s’en désola, jusqu’au petit comité de Poestra.
Dans l’une des chroniques signées dans le journal la Croix, Frédéric Boyer évoquait récemment la vocation poétique, avec des mots qui sonnent juste au regard de l’évènement : « le poète rameute le désordre, cherche l’ordre inconnu, remue la boue comme la lumière, franchit la lumière, ressasse et outrepasse ».
En effet, qui fera mine d’ignorer la force polémique de la grâce ? Assurément pas une poésie habitée, nourrie par une parole de foi. Les textes de la Bible auxquels elle puise une partie de son inspiration sont pleins de cette force. Car la grâce y fait râler les ouvriers de la première heure. Elle scandalise les stricts tenants de la loi par ses débordements incontrôlés. Elle vient proclamer une vie qui passe par la mort, plutôt que la tenir à distance ou de l’éviter. La grâce vise certes à la paix, au rapprochement de ceux qui sont proches et de ceux qui sont loin (Cf. Ephésiens 2, 17), mais son prix est élevé. Elle soulève incompréhensions, ruptures, car l’ordre qu’elle vise n’est pas tout à fait de ce monde : c’est un « ordre inconnu » pour reprendre les mots de l’écrivain chroniqueur.
Ce Printemps avait donc raison de mêler les renversements propres à la grâce à la liberté de la parole poétique. Finalement, nous sommes restés dans le thème, et nous sommes restés près des textes. Ceux des évangiles, avec leurs mots qui brûlent l’âme, et ceux des poètes, toujours en quête d’une plus grande, d’une autre vérité.
« Entrer en poésie est bien plus qu’une coquetterie, écrit Francine Carrillo, c’est une véritable insurrection qui incite à ralentir le pas […], à retrouver au bout de la patience un regard lavé contre la plainte des grincheux ou l’arrogance des trop sûrs d’eux ».
Pour qui veut emprunter ce chemin, il y a donc matière à se laisser déranger et à voir dans le clivage déclaré plutôt une faille où passeront des mots vecteurs de lumière.
Julien N. PETIT